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La durabilité portée par les entreprises, un pari légitime mais risqué

De nombreuses PME ne passeront bientôt plus la porte des départements achats des grandes entreprises.

Partout, les grandes entreprises sont soumises à une pression croissante en matière de durabilité. Si elles veulent réussir leur transition, elles n’ont plus le choix, elles doivent entraîner les fournisseurs et sous-traitants dans leur sillage.

Un véritable changement de paradigme c’est produit, très bien expliqué dans l’article de Maxime Paquay publié dans L’Echo en mars 2024.

Ce n’est pas le consommateur qui rendra l’économie plus durable.

Écrire ces mots n’a rien d’une évidence. En général, il est admis que ce sont à la fois les modes de production… et de consommation qu’il faut modifier en profondeur, pour atteindre une économie soutenable.

Or, en imposant, via sa directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), aux grandes entreprises de dévoiler une nouvelle comptabilité durable, le régulateur européen fait un pari: celui de faire porter la responsabilité de la transition sur les grandes entreprises – et pas aux consommateurs, nombreux à se soucier “de la fin du mois plutôt que de la fin du monde”.

Le pari – miser non pas sur le consommateur, mais sur de nouvelles règles du jeu et sur les entreprises pour rendre l’économie plus durable – est légitime. Pourquoi? Parce qu’en la matière, seules les épaules les plus opérationnelles sont les plus larges. Dit concrètement, il ne faut pas miser sur la conviction du consommateur, mais bien sur la contrainte, et la capacité d’adaptation des entreprises pour changer les règles du jeu.

Dévoiler pour mieux décarboner

L’idée européenne de la CSRD est d’obliger les grands acteurs à dévoiler leur état des lieux de la durabilité. Et ce qui sera mesuré pourra être comparé. Cela veut dire qu’une fois que les énergéticiens, les cimentiers et autres industriels auront fourni une photographie précise de leur impact environnemental ou social, le régulateur espère deux choses vont se passer.

D’abord, que pour améliorer leur propre durabilité, les grosses boites se tourneront vers les plus petites entreprises, leurs fournisseurs, et leur demander des comptes – quitte à changer de partenaire pour ceux qui ne sont pas en mesure de produire un bulletin de durabilité satisfaisant. Ou comment faire de la durabilité un facteur de compétitivité entre entreprises, au même titre que le prix ou la qualité.

Du côté des banques, ensuite – elles-mêmes obligées de publier leurs données. Comme la durabilité d’une banque n’est jamais que la somme de la durabilité de tous ses investissements réunis, elles finiraient par favoriser dans leur choix de financement, les acteurs les plus durables. Ou à pénaliser ceux qui le sont moins, avec moins de financement, ou du financement plus cher, à taux d’intérêt plus élevé.

Un risque majeur

Sur papier, tout cela est formidable. Cependant, ce serait aller un peu vite en besogne que d’écarter un risque majeur que ce pari représente: celui de voir des pans entiers de l’industrie européenne quitter le continent. Elles ne vivent pas sur une île, et il n’est pas saugrenu d’imaginer un nombre considérable d’entre elles quitter l’Europe, et se soustraire à cette régulation coûteuse et laborieuse.

C’est alors un autre cercle, beaucoup moins vertueux qui se mettrait en marche. Celui d’un désavantage compétitif pour l’industrie européenne, qui affaiblirait durablement nos industries, plus qu’il ne contribuerait à accélérer une transition vers une économie plus durable. Légitime, donc, certes. Le pari européen n’en demeure pas moins risqué.

Maxime Paquay - L'Echo
9 mars 2024